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Tendance : L’absurde comme meilleure réponse ?

Tendance : la communication et l’absurde

Crises climatiques et sanitaires, dérives autoritaristes, guerres, inflation galopante, progrès vertigineux de l’intelligence artificielle… Notre présent est une source intarissable d’angoisse existentielle qui frappe violemment les jeunes générations. Une angoisse palpable corroborée par quelques signaux faibles.

Morceaux choisis :

– Un intérêt grandissant pour le nihilisme sur les réseaux sociaux : +24% entre 2021 et 2022 (Nextatlas, 2022)

Une consommation de psychotropes qui repart à la hausse chez les jeunes Britanniques, comme pour échapper à une réalité trop anxiogène : +50% de jeunes de 16 à 21 ans qui en consomment depuis 2021 (The Mix, 2022)

Moins de chiffres, plus de déclaratif made in France.
Lorsque la brillante étude et maintenant ? (édition 2023) demande à nos jeunes concitoyens de décrire en un mot notre époque, le constat est accablant.

Dans cet océan de négativité, un terme retient notre attention :

L’ABSURDE

L’absurde selon Sartre, ce n’est pas ce qui est vide de sens, mais ce qui résiste à notre demande de sens.

Pourtant, la quête de sens est omniprésente dans la communication : les marques cherchent à avoir du sens, nos clients veulent que leur communication ait du sens, des communicants quittent leur métier pour trouver du sens.
Toute personne travaillant en agence peut se remémorer au moins un client ayant posé la question fatidique « mais c’est quoi notre purpose ? » (i.e. raison d’être).

Les consommateurs attendent-ils de leurs marques de détergent qu’elles se fassent les porte-étendards de la sensibilisation à de grandes causes ?

Les chercheurs émérites en marketing eux-mêmes s’écharpent depuis des années sur l’(in)utilité du brand purpose (cf. les papiers de Mark Ritson, Byron Sharp plutôt à charge vs l’étude en faveur très largement biaisée et critiquée de Peter Fields).

L’absurde : ou comment communiquer auprès des jeunes

Alors si l’époque est absurde pour les jeunes générations, pourquoi communiquer à leur destination avec sens ? Pourquoi ne pas embrasser l’absurdité de l’époque pour les toucher ?

Dans son essai Le Théâtre de l’absurde de 1961, Martin Esslin analysait ce qu’il estimait être les éléments constitutifs du théâtre absurde. Selon lui, l’absurde crée une structure dans un monde irrationnel. Une forme stylistiquement chaotique et dépourvue d’objectif, une confusion qui renforce l’expérience.

L’absurde et la publicité

Est-ce que cela peut fonctionner dans la création publicitaire ? A priori oui.
Parce que la pub absurde fonctionne mieux auprès de la Gen Z qui en serait demandeuse et pour laquelle l’absurde serait la nouvelle authenticité.

Parce que l’humour de la Gen Z est réputé absurde en réponse à notre époque et son futur incertain, pourquoi chercher du sens dans un monde qui en est dépourvu ?

Les réseaux sociaux sont inondés de mèmes toujours plus absurdes, avec notamment la bascule surréaliste de 2017 (voir ci-après l’évolution des memes de 1995 à nos jours).

Plus récemment, on a vu exploser la tendance ultra-méta du #corecore sur TikTok. Elle est qualifiée de mouvement artistique et comparée au dadaïsme des années 1920 qui était lui-même une réaction à la Première Guerre Mondiale.

Le corecore est une critique par l’absurde de notre époque et de toutes les trends en -core nées sur TikTok comme le Cottagecore et consorts.

« À l’instar de l’ouroboros, symbole antique d’un serpent qui se nourrit de sa propre queue, Corecore est le résultat d’un TikTok poussé à ses limites et à court de choses à disséquer, et qui se retourne donc contre lui-même. » (Refinery29).

Exemple : vidéo de @sebastianvalencia.mp4 « Wake up »

Cette créativité poussée à l’extrême se retrouve aussi dans l’industrie musicale avec un genre indéfinissable, protéiforme et maximaliste : l’hyperpop.

L’hyperpop semble suivre le même chemin que la tendance du #corecore, comme le résume parfaitement le webzine Beyeah :

« L’hyperpop est autant le symbole d’une nouvelle génération de consommateurs musicaux que le symptôme de la musique Pop mainstream actuelle, son aboutissement absurde et absolu. (…) En effet, ce « microgenre », comme les spécialistes aiment à le décrire, se caractérise avant tout par son approche maximaliste de la Pop grand public. Au lieu d’en saboter les codes, comme l’ont fait la quasi-totalité des mouvements musicaux contre-culturels jusqu’ici, l’hyperpop se les réapproprie, grossit ses traits jusqu’au grotesque, jusqu’à l’exagération. »

Un bel exemple juste là : 645AR « Yoga »

Codes visuels poussés à l’extrême, consécration du shitpost, faux rythme, abstraction, dérision…

La structure de cette culture absurde est difficile à cerner, mais la voie qu’elle ouvre à la créativité dans les métiers de la communication est sans bornes.

Communiquer via l’absurde dans la publicité :

Alors voilà quelques exemples publicitaires de marques qui ont su se l’approprier avec brio :

– Ce film totalement hypnotisant par Klarna, solution suédoise de paiement différé avec l’iconique Paris Hilton, coche toutes les cases susmentionnées : ICI

– La campagne de Snapchat pour le SuperBowl mettant en avant la réalité augmentée sait parfaitement employer les codes de sa cible : ICI

– Ce spot au faux rythme bizarrement envoûtant avec Iggy Pop pour la marque allemande Schock, qui vend des accessoires de cuisine : ICI

– Le hamster joueur de synthé pour la nouvelle gamme Pringles : ICI

– Ou encore l’œuf de Pâques de Reeses, quasi-lobotomisant : ICI

même l’illustration de notre case en témoigne.

Mais la pub n’est pas le seul domaine de la communication où l’absurde séduit. Cette culture produit d’internet fait son pré carré sur les réseaux sociaux, et donc dans le community management.

Quand les marques cherchent comment engager leurs communautés, parfois la réponse la plus simple est la plus évidente : le shitpost.

L’exemple du désarroi du CM de Radio Nova l’illustre bien.

L’actuel CM chouchou des twittos est celui du navigateur Opera GX.
Expert en shitpost, chacune de ses publications est likée et retweetée des milliers de fois.
Ici un exemple d’une de ses interactions récentes avec le CM concurrent du navigateur Bing, bel et bien absurde.

Mais personne n’arrive à la cheville de Duolingo, l’application pour apprendre de nouvelles langues, forte de ses 6,5M de followers TikTok. Longtemps tournée en dérision par les internautes pour ses « push » invasifs vus comme flippants, la marque a décidé d’embrasser totalement cette image.
Carton plein pour ce qui est l’un des comptes de marque les plus suivis au monde >>> ICI

Petite pépite pour terminer, le compte insta du beurre de cacahuète Nutter Butter. Drôle et perturbant, on ne peut que souligner la cohérence de la marque qui s’est engouffrée dans la brèche absurde >>> ICI

Alors que l’on nous dit chaque jour que les créatifs d’agence vont être rapidement remplacés par des intelligences artificielles, l’absurde nous démontre que la créativité et l’humain ne répondent pas toujours à des évidences.

Et pour le dire encore mieux, cette citation du producteur musical de génie, Rick Rubin :